Dans les collèges d’aujourd’hui, la mixité sociale apparaît comme un objectif souvent invoqué pour favoriser l’ouverture et l’échange entre jeunes. Pourtant, cette mixité institutionnelle peine à se traduire dans la réalité quotidienne des élèves, où les amitiés se structurent souvent en tribus et clans marqués par des codes vestimentaires, culturels et sociaux très spécifiques. Nike, Adidas, Vans, et Supreme ne sont pas que de simples marques : elles deviennent autant de badges d’appartenance qui dessinent les contours d’un paysage social fragmenté. Comment comprendre ce phénomène et quelles en sont les implications pour la vie scolaire et sociale des collégiens ?
Les tribus adolescentes : entre identité et marque sociale au collège
Les collèges français connaissent une segmentation marquée des jeunes en différents groupes aux styles bien définis, souvent reconnaissables au choix de leurs vêtements. Les marques comme Nike, Adidas, Vans, ou Supreme jouent un rôle clé dans la constitution d’une identité collective. Par exemple, certains groupes arborent volontiers des sweat-shirts The North Face ou des pièces Carhartt, tandis que d’autres adoptent des styles plus urbains avec Zara, Pull&Bear ou des jeans Levi’s. Ces signes visuels expriment plus qu’une simple préférence esthétique : ils signalent l’appartenance à un clan et facilitent les interactions au sein du groupe, mais peuvent aussi accentuer la distance avec les autres clans.
Clans et ultra-codes : une barrière sociale dans l’espace scolaire
Si la mixité sociale est présente dans les établissements, l’homophilie sociale – la tendance à se lier avec ceux qui partagent le même milieu – reste clairement observable. Les collégiens forment des amitiés plus fortes avec des pairs de leur même origine sociale. Une étude récente menée dans plusieurs collèges a montré que même si les « copains d’école » apparaissent socialement diversifiés, les amitiés proches et les sorties en dehors du cadre scolaire restent souvent circonscrites à un même cercle social.
Par ailleurs, la séparation par classes d’option ou par programmes spécifiques, comme le latin ou les filières SEGPA, agit comme un mécanisme qui renforce ces frontières sociales. Cela nourrit un phénomène d’étiquetage : les termes « les latinistes » ou « les SEGPA » deviennent des repères identitaires, consolidant les limites des clans et des tribus. Ainsi, la sociabilité des collégiens prend souvent la forme d’une mosaïque fragmentée, où les différences sont à la fois revendiquées et institutionnalisées.
Améliorer la mixité réelle : leviers et enjeux pour les établissements
Pour que la mixité sociale apporte ses effets positifs – ouvrir les regards, réduire les inégalités et favoriser une coexistence pacifiée – les établissements disposent d’outils stratégiques. La répartition équilibrée des élèves dans les classes, en évitant la concentration des mêmes milieux sociaux au sein d’un groupe, constitue un levier important. Par exemple, disséminer les élèves inscrits en options socialement marquées au lieu de les concentrer permet de multiplier les occasions de contact et de diminuer l’effet « clan ».
La mixité peut aussi se renforcer par la création d’espaces communs et d’activités mêlant différents profils, où la culture urbaine symbolisée par des marques comme JD Sports côtoie les héritages plus classiques. L’enjeu reste cependant de taille, car, au-delà des habitudes scolaires, les liens forts et durables sont souvent façonnés par des facteurs extra-scolaires – quartier, loisirs, famille – difficiles à dépasser par les simples dispositifs scolaires.
La double face des codes vestimentaires : identité et exclusion
Les marques ne sont pas que des accessoires tendances. Elles servent aussi de filtres dans la composition des groupes. Les collégiens portant du Pull&Bear peuvent se sentir à part de ceux qui adoptent un style plus axé sur Carhartt ou Levi’s. Cette complexité des codes contribue à dresser des frontières sociales claires, parfois source de conflits ou d’exclusions ciblées.
Pourtant, ces clans restent loin d’être totalement fermés. L’environnement scolaire, plus que la rue ou les réseaux sociaux, favorise des rencontres variées au moins dans la sphère des échanges brefs ou des « amitiés faibles ». Le défi consiste à convertir ces contacts occasionnels en relations authentiques capables d’outrepasser la barrière sociale et culturelle.
