Alors que la rentrée 2025 approche, une modification discrète mais majeure dans les programmes scolaires redessine la place des devoirs à la maison. Depuis 1956, une circulaire interdisait formellement les devoirs écrits hors temps scolaire. Cette règle, longtemps contournée de fait, fait désormais l’objet d’une révision officielle, autorisant explicitement des travaux écrits à réaliser à domicile. Ce changement soulève des questions cruciales au croisement de la pédagogie, de la vie familiale et des inégalités sociales. Les familles sont-elles devenues les actrices involontaires d’un travail gratuit, en support à l’école ? Entre attentes, charge de travail et capacités d’accompagnement, les enseignants et parents expriment leurs doutes et inquiétudes face à cette évolution.
Une évolution réglementaire qui bouscule la tradition des devoirs à la maison
Depuis plus de soixante ans, la doctrine de l’éducation française reposait sur l’interdiction des devoirs écrits à domicile, considérant que la journée scolaire devait suffire à l’apprentissage. Pourtant, dans la pratique, enseignants et élèves s’étaient souvent adaptés à une réalité plus souple, avec des exercices à faire à la maison principalement pour renforcer les apprentissages. Aujourd’hui, le ministère de l’Éducation nationale officialise ce qui était jusque-là toléré : les programmes du cycle 3 (CM1, CM2, 6e) incitent explicitement à proposer des travaux écrits à faire hors temps scolaire, comme l’apprentissage des leçons ou des exercices d’application.
Émilie Bournaud, professeur des écoles dans les Yvelines, témoigne : « Cela fait des années que je donne de petits exercices à mes élèves, mais désormais, c’est clairement accepté. Cela me soulage de ne plus sentir que ce que je faisais était ambigu ». Cette modification juridique sera mise en application à la rentrée. Toutefois, le flou reste important quant aux modalités concrètes, laissant une marge d’adaptation aux équipes pédagogiques et aux établissements.
Des devoirs à la maison, entre travail personnel et pression familiale
La notion de devoirs à la maison se double d’une problématique sociale majeure : elle expose les inégalités entre familles dans leur capacité à accompagner le travail scolaire. Si certaines disposent des ressources, du temps et des compétences pédagogiques, d’autres peinent à soutenir efficacement leurs enfants. Amel Z., mère de deux enfants à Nantes, s’interroge : « Je rentre tard, mon fils est en périscolaire jusqu’à 18h, qui va l’aider une fois à la maison ? Ce n’est pas toujours possible d’être disponible. »
Le risque est de considérer les devoirs comme un travail gratuit imposé aux familles, qui doivent crouler sous cette charge supplémentaire après leur propre journée de travail. La vie familiale s’en trouve bouleversée, particulièrement dans les foyers monoparentaux ou aux conditions socio-économiques fragiles.
Des disparités d’accueil selon les établissements et les contextes familiaux
Tout en donnant un cadre officiel aux devoirs hors temps scolaire, le ministère ménage une grande flexibilité dans leur mise en œuvre, laissant aux enseignants la liberté d’adapter selon les besoins. Dans certaines écoles, cela pourra renforcer les dispositifs d’aide aux devoirs ou les études surveillées, tandis que d’autres limiteront volontairement ces devoirs à l’essentiel, évitant d’alourdir la charge des élèves. Cette mosaïque d’approches reflète la diversité des réalités éducatives sur le terrain.
Comme le souligne le Conseil supérieur des programmes, il ne s’agit pas d’imposer une norme rigide mais plutôt d’encourager « l’apprentissage en dehors du temps de classe » sous différentes formes, orales ou écrites. Cette approche flexible est saluée par quelques syndicats, mais suscite aussi la crainte qu’elle n’aggrave les inégalités sociales.
Le choc des savoirs : quelles implications pour les élèves et les familles ?
Cette réforme s’inscrit dans un programme plus large, « le choc des savoirs », visant à endiguer la baisse des compétences en français et mathématiques. Cela se traduit entre autres par un renforcement des exigences en CM1 et CM2, avec une automatisation de la lecture ou une dictée imposée, ainsi qu’une valorisation des travaux hors classe dès la 6e.
Si certains enseignants approuvent ce retour à des pratiques plus rigoureuses, d’autres redoutent une surcharge pour les élèves et une pression accrue pour les familles. Béatrice Copper Royer, psychologue scolaire, rappelle la réalité du collège, « où les devoirs du soir sont souvent un casse-tête pour les parents qui doivent assurer un soutien souvent difficile. Cette charge invite à repenser la manière dont le travail hors classe est organisé, en particulier en offrant des aides directement à l’école ».
Regards croisés sur une question éducative complexe et très actuelle
Les débats passionnés autour des devoirs à la maison reflètent la complexité des enjeux : entre pédagogie, équilibre familial et égalité des chances. La FCPE alerte sur le risque d’accentuation des écarts scolaires, tandis que l’Unaf pointe l’épuisement des familles. Plusieurs voix appellent à un renforcement des dispositifs d’aide existants, tels que le programme « Devoirs faits », pour équilibrer cette charge. Analyse approfondie.
Julien, professeur dans un collège de banlieue, constate chaque jour les difficultés d’élèves qui peinent à trouver un accompagnement à la maison. « Pour eux, les devoirs deviennent une montagne, car sans soutien à la maison, la notion même de devoirs se traduit souvent par un décrochage scolaire. »
Une réforme qui ouvre la porte à de nouveaux défis sociaux et éducatifs
Ces évolutions amorcent un tournant en redéfinissant le rôle des familles dans la réussite scolaire, souvent à leur corps défendant, et questionnent la frontière entre temps scolaire et temps familial. La pression liée aux devoirs risque de se transformer en charge invisible, difficile à quantifier mais vécue intensément. Or, comme le soulignent de nombreux experts dans un débat récent, il est essentiel d’accompagner cette transition pour ne pas aggraver les fractures sociales.
Ce débat dépasse l’école pour toucher à la question plus large du modèle social et éducatif, invitant à repenser la pédagogie de manière plus inclusive et adaptée. Focus sur le débat pédagogique.
